12

— Souviens-toi bien d’une chose, dit Leia. Nous, nous les appelons les Vestiges, mais, pour eux, il s’agit toujours de l’Empire.

— Un Empire sans Empereur, commenta Han.

Elle lui tapota le dessus de la main.

— Certes, et c’est encore heureux, mon chéri. (Elle soupira à la sombre pensée qui venait de lui traverser l’esprit.) Et, dans le genre vestiges, on peut dire qu’en ce moment, la Nouvelle République n’est pas mal placée non plus.

Le Faucon Millennium avait enfin terminé sa longue et dangereuse traversée du territoire dominé par l’ennemi afin de rejoindre la capitale impériale de Bastion. Un escadron de destroyers stellaires impériaux escortait à présent le cargo, leurs longues coques masquant le vaste champ d’étoiles. Leur destination finale n’était pas la planète elle-même, mais un super destroyer dont l’immense silhouette s’étendait presque à perte de vue, à quatre kilomètres de part et d’autre de sa vaste baie d’accostage, et dont l’équipage était plus important en nombre que la population de plusieurs villes réunies. A l’intérieur de la baie, une escorte militaire vint à la rencontre de Leia. Les officiers se raidirent au garde-à-vous. Derrière eux se trouvait une fanfare qui claironna pompeusement pendant que la délégation franchissait les cinquante mètres qui les séparaient de la navette. C’était un luxueux véhicule de classe Lambda équipé d’un compartiment pour passagers décoré d’enluminures d’or massif. Un aide de camp discret proposa des rafraîchissements afin de faire patienter Han et Leia pendant le voyage de dix minutes qui les conduirait à la surface de la planète.

— Je vois que l’Empire n’a pas beaucoup changé de style, dit Han.

Il glissa un doigt dans le col de son uniforme de général. Leia l’avait obligé à porter sa tenue d’apparat, sachant que la plupart des impériaux, en théorie, s’effaçaient et obéissaient automatiquement à toute personne suffisamment galonnée. Leia, elle-même, avait choisi pour l’occasion de porter une robe évoquant également un uniforme. La tenue était dotée d’un long col et, sur le plastron, d’une double rangée de boutons incrustés de joyaux.

— Est-ce que tu te souviens du moment où Vana Dorja nous a faussé compagnie ? demanda Leia.

Han jeta un coup d’œil surpris par-dessus son épaule. La seule personne qui partageait le compartiment avec eux était l’aide de camp, perché diplomatiquement sur un tabouret, suffisamment loin pour leur permettre de discuter à voix basse sans être entendus.

— Non, répondit Han.

— Je te parie tout ce que tu veux que le Grand Amiral Pellaeon est en train d’écouter attentivement son rapport, dit Leia.

— Je n’accepte pas ce genre de pari perdu d’avance.

La navette de classe Lambda descendit vers la surface de la planète et remonta à basse altitude le long d’une avenue. Elle vola au-dessus de formations constituées de milliers de stormtroopers et de soldats en uniforme de la Flotte. Tous saluèrent au passage de l’engin. Le soleil de fin de journée dotait chaque soldat d’une ombre très longue qui s’étendait sur la chaussée, créant l’illusion que chaque section, impeccablement alignée, était accompagnée d’une sinistre légion de fantômes.

— Quel accueil ! remarqua Han.

— Ils essaient de nous prouver quel allié de valeur ils pourraient représenter. Des troupes à foison, un super destroyer stellaire, des métaux précieux ornant le mobilier…

— Et ils espèrent qu’on va leur donner quoi en échange ?

Leia adressa à son époux un regard très significatif.

— Je suis certaine qu’ils vont nous le dire.

La navette reprit un peu d’altitude à l’approche du quartier général impérial, un monolithe extraordinaire de marbre noir et poli, de bronzes étincelants, paré de fenêtres aux vitres réfléchissantes. Des générateurs de boucliers et des batteries de turbolasers étaient perchés sur des corniches en espalier. Au sommet de l’édifice se dressait une tour, elle-même dominée par une structure cristalline, en forme d’étoile, brillamment illuminée. On aurait cru qu’un immense poing noir avait tendu un index vers les cieux pour indiquer que la galaxie ne pouvait avoir qu’une seule loi, un seul gouvernement, un seul dirigeant…

La navette monta en direction de la structure cristalline et se rangea le long d’un des bras de l’étoile. Elle déploya alors son ombilic d’accostage et flotta, apparemment sans effort, sur ses seuls moteurs à répulsion.

L’aide de camp se leva de son siège et marcha jusqu’au sas.

— J’espère que le voyage a été agréable, dit-il.

Il posa un doigt sur un panneau et le sas s’ouvrit en sifflant. Le rayon de cristal, qui paraissait si fragile depuis le sol, était en réalité une passerelle très solide dont les panneaux transparents étaient soutenus par une structure très résistante en alliage argenté.

Leia remercia l’aide de camp, bomba le torse et s’engagea sur la passerelle. Han se trouvait à un pas derrière elle, sur sa droite. Au bout d’une soixantaine de mètres, le tunnel de cristal débouchait sur une vaste salle au plafond constitué d’un assemblage de panneaux translucides. A sa grande surprise, Leia se rendit compte qu’il s’agissait d’un arboretum, où des milliers de buissons exotiques, fleuris et colorés, étaient alignés de façon impeccable. Leurs parfums flottaient dans l’air ambiant et le soleil couchant faisait flamboyer tous les pétales des fleurs.

Comme pour créer délibérément un contraste avec cet environnement coloré qui foisonnait tout autour de lui, Gilad Pellaeon était vêtu de l’uniforme immaculé de Grand Amiral de la Flotte Impériale. Il avait pris dix kilos depuis sa dernière rencontre avec Leia. Ses cheveux et sa moustache broussailleuse avaient blanchi. En revanche, un esprit aiguisé luisait dans ses yeux sombres, sa démarche était assurée et sa poigne fut franche lorsqu’il accueillit Leia à l’embouchure du tunnel pour lui prendre la main.

— Princesse, dit Pellaeon en s’inclinant respectueusement.

— Suprême Commandeur.

Pellaeon salua également Han, mais il s’abstint de s’incliner en lui serrant la main. Il fit un pas en arrière et se tourna à nouveau vers Leia.

— Je viens de recevoir un message urgent, qui vous est destiné, du commandement de la Flotte de la Nouvelle République, annonça-t-il. Ils n’ont pas réussi à vous contacter directement et m’ont donc demandé de vous le relayer.

Leia, involontairement, tituba en arrière et sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Jaina ! Pendant la campagne de Borleias, Leia avait pu constater combien sa fille repoussait les limites de sa résistance face aux Yuuzhan Vong et aux ténèbres qui menaçaient en permanence de s’approprier son âme. Jaina était bien trop jeune pour endurer toutes les tragédies qui ponctuaient sa vie depuis le début de la guerre. Tous ses camarades tués au combat, la perte de ses professeurs, son frère Anakin assassiné sous ses yeux et Jacen… Jacen porté disparu. En réponse à cela, Jaina s’était durcie. Mais se durcir ainsi pouvait aussi fragiliser une personnalité. Cela faisait bien trop longtemps que la mort accompagnait Jaina dans son cockpit à chaque voyage que la jeune femme entreprenait. Seule sa volonté féroce lui avait permis de ne pas succomber. Sa volonté. Qui un jour finirait par l’abandonner. Tout comme sa chance. Qui venait certainement de l’abandonner. Leia en était convaincue.

Les mains puissantes de Han rattrapèrent Leia aux épaules et l’aidèrent à ne pas vaciller. Un sourire illumina alors le visage de Pellaeon.

— Bonnes nouvelles, Princesse ! dit-il. Votre fils Jacen a réussi à échapper aux Yuuzhan Vong. Il vient de rejoindre Mon Calamari sain et sauf.

Leia sentit ses genoux fléchir et elle redoubla d’efforts pour ne pas s’évanouir. Sans le soutien de Han, elle n’y serait certainement pas parvenue. Ses derniers doutes concernant la survie de Jacen avaient été effacés quelques jours auparavant, lorsqu’elle avait reçu le message mental dans la Force ; elle aurait dû se préparer également à recevoir la confirmation officielle du retour de son fils.

Cela ne concernait donc pas Jaina. Il n’était pas question de mort, de peine ou de tragédie.

— Tu as entendu ça, chérie ? chuchota Han à l’oreille de Leia. Jacen est vivant !

Les bras de Han l’enlacèrent et Leia sentit une joie débridée animer cette étreinte. La tête lui tourna un peu et elle comprit que son époux n’avait pas totalement partagé sa certitude concernant la survie de Jacen. Han l’aimait, et il avait donc consciemment décidé de la croire. C’était un acte de bonne foi, mais une partie de lui-même doutait encore et cette partie attendait une confirmation officielle.

Avec énormément d’efforts, Leia prit la parole.

— Merci, Suprême Commandeur, dit-elle. Cela…

Tenant toujours Leia dans ses bras, Han poussa un cri de joie et de victoire qui faillit la rendre sourde.

— Cela nous rend très heureux, termina-t-elle.

Cette affirmation semblait bien anodine par rapport à ce qu’elle pensait réellement.

— Si vous souhaitez utiliser nos canaux pour envoyer un message à votre fils, vous êtes les bienvenus, proposa Pellaeon.

— Certainement, merci beaucoup.

Le message de Han – « bien joué, fiston ! » – fut composé relativement rapidement. Celui de Leia fut plus mesuré et prit un peu plus de temps.

« Encore une fois, Jacen, dicta-t-elle à la console de communication de l’Amiral Pellaeon, tu as su répondre aux prières d’une mère. »

— Quelle façon élégante de formuler les choses ! jugea Pellaeon. (Un sourire entendu se dessina sous sa moustache blanche.) Jacen semble avoir hérité de ses parents ce don pour échapper aux situations les plus inextricables.

— Oui, tout comme il a hérité de notre propension à nous fourrer dans les situations les plus inextricables ! remarqua Han.

Pellaeon fit un geste en direction du jardin et de ses multiples buissons fleuris et colorés.

— Puis-je vous faire visiter mon jardin ? demanda-t-il. Nous pourrons y discuter en privé de votre ambassade.

— Ne devrais-je pas m’entretenir avec les autres également ? demanda Leia, hésitante.

— L’Empire n’est pas dirigé par des comités, Princesse, rappela Pellaeon. Si je pense que le conseil des Moffs a besoin de connaître la substance de votre message, eh bien j’irai le leur exposer en personne.

Pellaeon emmena Han et Leia entre les rangées de fleurs, indiquant avec une fierté évidente les orchidées hybrides qu’il avait créées, les mousses aux couleurs de l’arc-en-ciel provenant de Bakura et ces hautes et arrogantes fleurs jaunes pydyriennes qui ressemblaient si étrangement aux natifs si hautains de cette lune lointaine. Un certain contentement monta en Leia, admirant et humant ces fleurs, et elle se ravit de la passion évidente que Pellaeon portait à ses cultures.

— J’ignorais que vous étiez jardinier dans l’âme, Amiral, dit Leia.

— Chaque dirigeant devrait posséder un jardin, répondit Pellaeon. On apprend énormément de choses en observant la nature.

— Exact.

Leia prit une large fleur rose entre ses mains et l’approcha de son visage pour en apprécier la fragrance.

— Dans un jardin, on apprend à repérer ce qui est faible, ce qui ne convient pas, continua Pellaeon. Et on y encourage le développement de ce qui est fort et vigoureux. (Il leva une main et joignit le pouce et l’index.) Un bourgeon inférieur ne peut échapper à la force de mes doigts !

Leia soupira, se redressa et laissa retomber la fleur qu’elle avait soulevée. Elle se dit alors qu’il valait mieux ne pas se faire d’illusions quant à son séjour sur Bastion. Cette leçon de choses n’avait lieu que pour lui rappeler la véritable nature de l’Empire.

Han évalua les doigts pincés de Pellaeon du regard.

— Donc, vous faites pousser vos plantes en rang, c’est cela ?

— Chacune d’entre elles se voit attribuer le même espace vital et la même exposition au soleil. Et rien de plus, répondit l’amiral.

— Mais les plantes, ça ne pousse pas naturellement en rang, non ? remarqua Han. Un tel arrangement n’est possible… (Il lança un coup d’œil insistant vers le dôme à facettes translucides qui couvrait l’arboretum.)… que dans un environnement totalement artificiel.

Bravo ! songea Leia en écoutant son mari. Avec un peu de persévérance, je finirai bien par te transformer en diplomate !

Pellaeon laissa pointer un petit sourire malicieux.

— Vous préférez l’ordre naturel des choses ? Eh bien, sachez que, dans la nature, les faibles sont éliminés de façon bien plus impitoyable qu’ils ne le sont ici.

Leia prit le bras de son époux.

— Disons que je préfère un certain équilibre, lança-t-elle. La nature devrait être assez vaste pour… Pour que les plantes puissent s’y développer en suivant leur propre nature. Vous voyez ce que je veux dire ?

— Cette notion d’équilibre découle de la philosophie Jedi, si je ne m’abuse, remarqua Pellaeon. Mais les beautés hybrides que vous pouvez admirer ici… (Il indiqua les fleurs que Leia venait de prendre dans ses mains.)… ne sont pas issues d’un équilibre ou d’une nature quelconque. Elles sont le résultat d’une joute de volontés. La volonté du jardinier et la volonté de la plante qu’il doit forcer à pousser et à fleurir de la meilleure façon possible.

Leia laissa tomber le bras de Han et poussa un nouveau soupir.

— Je vois que nos futures discussions politiques sont mal parties, dit-elle.

— J’en ai bien peur, Princesse, répondit Pellaeon en s’inclinant respectueusement.

— La Nouvelle République, commença Leia, aimerait savoir si l’Empire accepterait de lui confier ses cartes des routes spatiales conduisant au Noyau Profond.

— Ces cartes… dit Pellaeon. Ces cartes font partie de nos secrets les plus farouchement gardés.

Pendant la Rébellion, l’Empire avait passé des années à arpenter le Noyau Profond de la galaxie. La connaissance des Impériaux de ces étroits passages tortueux entre les masses stellaires très denses était sans égale. Les rebelles avaient finalement réussi à chasser leurs adversaires du Noyau, mais la tâche avait été ardue et il paraissait évident que de nombreuses routes impériales demeuraient encore inconnues.

— Il n’y a plus une seule base occupée par les Impériaux dans le Noyau Profond, dit Leia. Je doute que ces informations vous soient encore d’une quelconque utilité. D’un autre côté, vous devez savoir combien de telles bases seraient vitales pour la Nouvelle République désormais, puisque Coruscant est tombée. De plus, ajouta-t-elle en observant le regard sceptique de Pellaeon, vous devez également savoir que, plus nous occuperons les Yuuzhan Vong autour du Noyau Profond, moins ceux-ci s’intéresseront à Bastion pour leurs futures conquêtes.

— Je ne crains pas pour la sécurité de notre capitale, dit Pellaeon.

C’est que vous n’avez pas vraiment été attentif, songea Leia. Mais elle savait pertinemment que Pellaeon ne lui dévoilait pas toute la vérité. C’était probablement la façon classique de s’exprimer pour tous les Suprêmes Commandeurs des régimes totalitaires.

— Moi aussi, jadis, dit Leia, je ne craignais rien pour la sécurité de Coruscant.

Ce qui n’était pas tout à fait vrai non plus.

— Peut-être souhaiteriez-vous prendre un rafraîchissement, proposa Pellaeon.

Il prit le bras de Leia et l’escorta le long d’une série de parterres de fleurs qui semblaient de plus en plus extravagants et colorés au fur et à mesure de leur promenade. Han les suivit, prétendant s’intéresser de près aux plantations.

— J’espère que vous serez en mesure de m’offrir quelque chose en échange de ces informations, dit l’amiral. Le conseil des Moffs n’a pas vraiment l’intention de laisser filer de tels secrets.

— Ne venez-vous pas de me dire que vous leur communiqueriez uniquement ce que vous souhaitez qu’ils sachent ? demanda Leia en souriant.

— Certes. Mais, malheureusement, ajouta-t-il, leurs petits esprits occupés pourraient en tirer leurs propres conclusions. Il leur serait donc très utile de savoir qu’ils peuvent obtenir quelque chose de valeur égale en échange.

Leia avait anticipé cela. Proposition, contre-proposition, paiement officiel, chantage… L’arsenal habituel de la politique.

— La Nouvelle République serait très heureuse d’offrir en échange tout ce que nous savons au sujet des Yuuzhan Vong. Armement, tactiques, communications, organisation interne…

— Communications, dites-vous ? demanda Pellaeon, insistant bien sur le mot. Vous avez découvert le secret de leurs communications ?

— Exact, répondit Leia.

Merci, Danni Quee, songea-t-elle.

— Les vieilles routes obsolètes du Noyau en échange du plus grand secret des Yuuzhan Vong ? médita Pellaeon. Je prédis qu’il n’y aura guère de problème avec le conseil des Moffs.

Leia fut ravie de l’entendre, mais, si cela s’était avéré nécessaire, elle s’était préparée à donner l’information à Pellaeon sans réclamer quoi que ce soit en retour. Selon elle, tout ce qui pouvait contribuer à affaiblir les Yuuzhan Vong constituait un point positif.

Ils atteignirent l’extrémité de l’alignement de plantes. Leia y découvrit un espace circulaire délimité par des troncs de coolsaps Gamorréens, dont les ramages constituaient une sorte de voûte naturelle. Sous les feuillages, un impressionnant buffet avait été dressé sur une grande table en hémicycle. On y avait disposé de longs plats en argent brossé, des bols contenant des salades et des fruits, ainsi qu’un assortiment de desserts et de pâtisseries. Sur une table séparée se trouvait une vaste sélection de vins et de liqueurs. Au centre du cercle, on avait installé une table ronde de cristal et mis le couvert pour trois personnes. Les assiettes étaient arrangées autour d’un bouquet constitué des fleurs les plus exquises que l’arboretum avait à offrir.

— Je vous en prie, pardonnez mon manque de protocole et servez-vous, dit Pellaeon.

Han jeta un coup d’œil sceptique au buffet.

— Et avec quel régiment sommes-nous censés partager ce festin ?

Pellaeon sourit sous sa moustache.

— Nos précédentes rencontres ne m’ont guère renseigné sur vos goûts culinaires. Je me suis donc permis de faire préparer un petit peu de tout.

— Ça doit être agréable d’être assis au sommet de la chaîne alimentaire, non ? commenta Han.

Leia remercia chaleureusement l’amiral. Et maintenant, je sais d’où te viennent ces kilos superflus, songea-t-elle.

Leia et Pellaeon discutèrent pendant tout le repas de sujets sans grande importance. L’aptitude à discuter de sujets sans importance était, justement, l’un des talents politiques les plus importants qui soient. Quelque temps plus tard, serrant entre ses mains une tasse de thé de pousses de naris, Leia reprit le fil de la conversation initiale.

— Une fois que vous aurez eu la possibilité d’étudier les informations que nous avons rassemblées sur les Yuuzhan Vong, commença-t-elle, j’espère que l’Empire acceptera notre proposition d’alliance contre cet ennemi commun.

Pellaeon souleva un de ses sourcils blancs.

— Je pensais que vous aborderiez ce sujet un peu plus tôt, dit-il.

— Le dîner d’abord, répondit Leia. La guerre ensuite.

— Voilà qui est très civilisé, dit Pellaeon en riant.

— Les principales forces Yuuzhan Vong se heurtent actuellement à la Nouvelle République, dit Leia. Vous pourriez sans grand effort couper leurs colonnes d’approvisionnement depuis la Bordure.

Pellaeon lui adressa un regard dubitatif.

— Je peux aller présenter votre proposition au conseil des Moffs, dit-il. Mais je sais d’avance ce qu’ils vont répondre.

— A savoir ?

— Ils vont demander quels bénéfices l’Empire pourrait tirer d’une telle action.

— Je suis certaine que l’Empire pourrait tirer de grands bénéfices en aidant la galaxie à se débarrasser d’une menace comme les Yuuzhan Vong.

Pellaeon réfléchit à la question pendant quelques instants, puis secoua la tête.

— Non, il vaut mieux que je m’abstienne de présenter une telle proposition au conseil des Moffs, dit-il. Je suis sûr qu’ils ne l’approuveront pas.

La voix de Jagged Fel retentit dans l’esprit de Leia : Ça me paraîtrait frappé du sceau du bon sens si, à court terme, l’Empire s’alliait aux Vong. Elle sentit le muscle d’un de ses genoux tressaillir et s’obligea à le contrôler.

— Et pourquoi non ? demanda-t-elle.

— Parce que, très franchement, la Nouvelle République est en train de perdre cette guerre, dit Pellaeon. Vos forces sont indisciplinées, votre gouvernement est en déroute, votre capitale est tombée et votre Chef d’Etat à été torturé à mort dans son bureau. Pourquoi l’Empire devrait-il rejoindre une telle débâcle ?

Leia, silencieusement, maudit Vana Dorja et le rapport que l’Amiral Pellaeon avait dû certainement étudier avant cet entretien. Mais ce n’était pas juste, se dit-elle. Pellaeon n’avait pas besoin du rapport de Van Dorja pour prendre sa décision.

— Si nous vous rejoignons, il y a de fortes chances pour que vous nous entraîniez avec vous, continua Pellaeon. (Il hésita un instant.) C’est en tout cas ce que dirait le conseil des Moffs.

Non, c’est ce que tu dirais, toi, traduisit Leia.

— Maintenant, en imaginant que vous commenciez à remporter de vraies victoires, reprit l’amiral, alors on pourrait peut-être faire changer d’avis le conseil des Moffs. Mais il faudrait nous convaincre que vous n’allez pas nous conduire au désastre. (Ses yeux sombres se fixèrent solennellement dans ceux de Leia.) Et ça, Princesse, c’est la vérité.

— Eh bien, dit Leia. Je vois…

L’expression de Pellaeon se modifia imperceptiblement.

— D’un autre côté, dit-il, si vous pouviez offrir quelque chose au conseil des Moffs… Quelque chose de concret…

— Par exemple ? demanda Leia.

— Le conseil des Moffs se laisse facilement impressionner par des choses réelles, des choses tangibles, dit Pellaeon. Par exemple, si l’Empire pouvait conserver les planètes qu’il aurait lui-même reprises aux Yuuzhan Vong, je peux vous assurer que cela impressionnerait grandement le conseil des Moffs. Je ne parle pas, ajouta-t-il en observant l’indignation se dessiner sur le visage de Leia, de ces mondes encore occupés par vos populations. Non. Je parle de ces planètes que les Yuuzhan Vong ont remodelées à leur usage. (Il hocha la tête, très sûr de lui.) Je pense que des planètes impressionneraient beaucoup le conseil des Moffs, Princesse.

L’Empire pourrait donc doubler de taille, choisir ses planètes et cela ne coûterait rien du tout aux Yuuzhan Vong… Encore une fois, les paroles de Jagged retentirent dans la tête de Leia.

Elle parvint à contrôler le fil de ses pensées.

— Je ne dispose pas de l’autorité nécessaire pour accorder de telles concessions, dit-elle. En tout cas, je puis vous assurer qu’il y a des millions de réfugiés qui aimeraient récupérer leur monde.

— Ils seraient les bienvenus au sein de l’Empire, dit Pellaeon. Je pense que nous serions en mesure de mieux les soutenir que ce que vos ressources actuelles, si éprouvées, vous permettent.

Alors, vous pourriez aisément faire le tri de ce qui vous intéresse ou pas, comme dans ce jardin. Leia devina la remarque cynique dans le regard brun de Han. Fort heureusement, il s’était abstenu de la formuler à haute voix.

— Comme je viens de vous le dire, reprit Leia, je ne dispose pas de l’autorité nécessaire pour accorder de telles concessions.

— Mais vous allez rapporter mes propos à votre gouvernement dès votre retour, n’est-ce pas ?

— Certainement, dit Leia hochant la tête.

En espérant que nous aurons un gouvernement à notre retour, se dit-elle.

 

Ce ne fut que très longtemps après que Shimrra eut suspendu la séance que Nom Anor commença à réfléchir à ce qui s’était passé. En fait, c’étaient les propos de Yoog Skell qui l’avaient incité à se poser des questions. La délégation avait rejoint en procession la damutek des intendants avant de se séparer. Nom Anor avait marché aux côtés de son maître, remontant les couloirs sinueux de la damutek, humant la très salubre puanteur organique des parois et observant les jeunes intendants s’effacer respectueusement sur leur passage.

— Bon, commença Yoog Skell, je suppose que tu as constaté toi-même la puissance du Seigneur Suprême.

— Effectivement, Grand Préfet.

— Tu as senti la pression de son esprit sur le tien, sans doute, lorsqu’il t’a interrogé.

Nom Anor frissonna intérieurement au souvenir de la pression mentale qui avait failli le drainer de toute substance vitale.

— Oui, répondit-il.

— N’envisage jamais de mentir au Suprême. Il s’en rendrait compte.

— Jamais, acquiesça Nom Anor. Jamais je ne le ferai.

Yoog Skell lui adressa un long regard en biais.

— As-tu de nouveau senti la présence du Suprême lorsqu’il nous a incités à nous tourner contre Ch’Gang Hool ?

Nom Anor manqua de trébucher en marchant à côté de son chef.

— Pardon, Grand Préfet ? dit-il.

— Tu as dû le sentir, continua Yoog Skell. A moins que tu ne penses que cela est normal pour des Yuuzhan Vong de castes élevées de crier, jurer et baver de la sorte.

Nom Anor poussa un long soupir sifflant d’admiration. C’était donc le Seigneur Suprême qui était le responsable de ce comportement ? Il était parvenu à transformer ses subordonnés les plus proches en une foule furieuse et meurtrière, ayant juré la perte d’un seul individu.

— Eh oui, dit Yoog Skell, les dieux lui ont donné ce pouvoir, entre autres. (Sa voix devint pensive.) On ne peut pas dire que Ch’Gang Hool soit une grosse perte. Ses ambitions ont toujours dépassé ses talents. Tiens, je me souviens d’une cérémonie d’intronisation qu’il a menée pour l’une de mes plus talentueuses conseillères, la jeune Fal Tiwik. Une procédure assez élémentaire, en général, mais – comme dirait notre Grand Prêtre – « Les dieux ont découvert un défaut » chez cette pauvre fille. On l’a obligée à rejoindre les Humiliés. Aujourd’hui, je me demande si le défaut en question ne venait pas directement de Ch’Gang Hool.

Nom Anor adressa un regard vif à son supérieur. Les paroles du Grand Préfet semblaient flirter avec l’hérésie. Mais Yoog Skell était d’humeur songeuse et il reprit la parole.

— Peut-être te souviens-tu de Fazak Tsun, une autre victime de Ch’Gang Hool, dit-il. (Il marqua une pause car ils venaient tout juste d’arriver à la porte de ses appartements. Il se tourna vers Nom Anor et posa lourdement sa main sur l’épaule de son subordonné.) Toi aussi, tu as commis des erreurs, Exécuteur, dit-il. Maintenant, tu vois ce qui arrive lorsque trop d’erreurs sont commises et qu’elles sont repérées par le Seigneur Suprême.

— Oui, Grand Préfet. (L’esprit de Nom Anor réfléchissait à une telle vitesse qu’on aurait presque pu entendre des rouages d’horlogerie s’emballer.) Que me suggérez-vous pour éviter le sort de Ch’Gang Hool ?

— Ne commets plus d’erreurs, dit Yoog Skell sans ménagement. (La porte derrière lui s’ouvrit en chuintant et il fit un pas à l’intérieur.) Quant à mon conseil personnel, Exécuteur, le voici : évite d’aller chatouiller le Seigneur Suprême de trop près, surtout quand celui-ci est dans l’incapacité de se gratter en public.

La porte se referma et Nom Anor se retrouva seul dans le corridor. Il se mit alors à réfléchir intensément.

 

Les étoiles se transformèrent en lignes qui filèrent vers l’arrière. Han vint s’asseoir dans le siège de pilote et adressa un franc sourire à Leia.

— Voilà, dit-il. Prochain arrêt : Mon Calamari.

Le lendemain de l’entretien dans l'arboretum, Leia et Han avait rendu son invitation à l’Amiral Pellaeon en le conviant à dîner à bord du Faucon Millennium. Pellaeon et Leia avaient échangé des fichiers. Il lui avait remis les cartes des routes hyperspatiales du Noyau Profond. En échange, elle lui avait donné toutes les informations que la Nouvelle République avait rassemblées au sujet des Yuuzhan Vong. Les toasts officiels n’avaient pas tardé. Leia avait levé son verre en l’honneur de l’Empire, geste facilité par de nombreuses répétitions, et Pellaeon avait trinqué à la Nouvelle République. Puis, très gentiment, il avait de nouveau levé son verre au succès et à la survie de Jacen Solo.

Ensuite, Pellaeon avait offert à Han une nouvelle antenne de communication hyperspatiale, pour remplacer celle endommagée lors du combat contre les Yuuzhan Vong. Maintenant, si de nouveaux bulletins au sujet de Jacen, d’un ami ou d’un membre de la famille étaient transmis, Han et Leia seraient en mesure de les recevoir sans que Pellaeon ait à jouer les intermédiaires.

Han s’installa confortablement dans son fauteuil.

— Je veux faire installer cette antenne avant notre prochain point de saut, dit-il. Et ensuite envoyer ton message et une copie de ces cartes du Noyau Profond à la capitale. Il faudrait aussi en envoyer une copie à Wedge Antilles, au cas où les gars de la capitale ne sauraient pas quoi en faire.

— Bonne idée. (Une pensée frappa Leia.) Je me demande si l’antenne offerte par Pellaeon n’aurait pas été un peu bricolée. Peut-être que toutes nos transmissions sont relayées au quartier général de l’Empire ?

— Ce n’est pas grave, répondit Han. L’Empire a déjà les informations, puisque nous les tenons de lui.

— C’est vrai.

— Je ferai remplacer l’antenne par du matériel à nous, lorsque nous serons revenus sur Mon Calamari.

Leia suivit Han jusqu’à la cambuse. Il lui lança un clin d’œil.

— Alors, à ton avis, est-ce que ces cartes du Noyau valaient vraiment tout ce voyage ?

— Oui. On peut cacher des chasseurs dans le Noyau pendant des années et attaquer ainsi les convois Yuuzhan Vong par surprise.

— Même si l’Empire ne se joint pas aux combats ?

— Pas à n’importe quelle condition, en tout cas.

Han parut soudainement sinistre.

— Il a quand même eu un sacré culot de nous demander nos planètes comme ça, non ?

— Ce ne sont plus nos planètes. Je crois que c’était ce qu’il voulait nous faire comprendre. Mais je pense qu’il s’agissait d’un test. Si j’avais accepté son idée précipitamment, cela lui aurait donné l’impression que notre situation est désespérée.

— Et tu ne crois pas que ça l’aurait poussé à entrer en guerre ? Ou bien à prendre ses jambes à son cou ? demanda Han d’un ton perplexe.

— Bonne question. (Leia réfléchit quelques instants.) Je pense que nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne voulons pas que l’Empire se mêle de cette guerre.

— Tu en es sûre ? demanda Han, stupéfait. Avec tous ces destroyers stellaires ? Tous ces soldats ?

— Oui, répondit Leia. Pellaeon nous a bien dit que l’Empire se joindrait à nous dès que nous remporterions de sérieuses victoires. Mais, dès que nous aurons effectivement commencé à remporter des victoires, nous n’aurons plus besoin de l’Empire. Ce que Pellaeon veut vraiment, ce sont des concessions bien en avance et s’asseoir à la table du traité de paix quand la guerre sera finie. Il souhaite une paix qui puisse servir les intérêts de l’Empire.

Han commença à trancher une racine de charbote.

— Et moi qui commençais à penser que Pellaeon était finalement un brave type…

Leia fit un geste équivoque de la main.

— Je ne dis pas que ce soit le mauvais bougre, enfin pour un impérial. Mais c’est une des têtes pensantes de l’Etat et il doit chercher justement ce qui pourrait profiter à cet Etat. Il n’a pas persuadé l’Empire de mettre fin à la guerre contre la Nouvelle République pour des questions de moralité, il l’a fait en persuadant le conseil des Moffs que c’était dans l’intérêt de l’Empire. Aujourd’hui, les Vestiges ont du mal à se remettre de la dernière guerre. Alors, pourquoi Pellaeon irait-il se fourrer dans une affaire pareille si ce n’était pour en tirer un quelconque avantage ?

— Là, j’avoue… commença Han.

— Vas-y doucement avec la racine de charbote, Han, l’interrompit Leia.

— Hé ! Je suis Corellien, moi, j’adore la racine de charbote.

Il arrêta de trancher son légume, rassembla les morceaux qu’il avait déjà découpés et les jeta dans une sauteuse. Puis il se tourna vers elle.

— Tu sais quoi ? dit-il. Je ne suis pas sûr d’avoir très faim, là, maintenant.

— Vraiment ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. D’ordinaire, tu es plutôt affamé à cette heure de la journée.

— C’est que je viens juste de me souvenir d’un truc, dit Han. On avait bien espéré être tous les deux pendant ce voyage, non ? Maintenant que l’amiral et ses espions impériaux ont débarrassé le plancher, on est tous les deux.

— Oh, dit-elle en clignant des yeux. Heu…

Leia se sentit rougir à la vue de la lueur qui pointait dans le regard de son mari. Celui-ci la prit dans ses bras.

— Je pense qu’on a bien mérité de passer un peu de temps ensemble, tu ne crois pas ? demanda-t-il.

La voie du destin
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